Un beau vestige du 16e siècle à Haussonville

Nisi Dominus Aedificaverit -sentence portière

Cette pierre gravée, qui paraît être un ancien linteau de porte,  a été replacée au 20e siècle dans le mur d'une grange route de Velle à Haussonville ; elle porte la date de 1567 et le début du  psaume 126 qui a souvent été mis en musique.

NISI DOMINUS AEDIFICAVERIT DOMUM IN VANUM LABORAVERUNT QUI AEDIFICANT EAM

 qui signifie :

Si le Seigneur ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent travaillent en vain.

Cette inscription maladroite n'a certainement pas été gravée par un très habile graveur de pierre.

Observez-la...

Les chiffres sont mal alignés ; dans le mot EDIFICA VERIT, une syllabe a été oubliée que le graveur a ajoutée au-dessus et le R a été remplacé par un Z. Si DNS correspond bien à l'abréviation de DOMINUS, les lettres sont un mélange de caractères romains et gothiques.

On peut faire l'hypothèse qu'il s'agit de la première pierre bénite d'un bâtiment érigé à cet endroit ou à proximité mais la date ne permet pas de lever le mystère. On sait que Jean d'Haussonville a érigé un hôtel-Dieu, vers 1435, que celui-ci a été détruit au cours de la guerre de trente ans (17e siècle), mais qu'a-t-il pu se passer en 1567 ? Le prévôt de la collégiale Saint-Claude, à cette époque, était Demange Fari, homme de sainteté et de mérites, écrit l'abbé Paquatte en rapportant les mots de l'un de ses prédécesseurs. A-t-il fait faire des travaux dans le bâtiment de l'hôtel-Dieu nécessitant une bénédiction des lieux après travaux ?

Autre hypothèse : le prieuré de Flavigny possédait des terres à Haussonville, et également une maison qui se trouvait à l'emplacement de cette grange. Ce ne devait pas être une maison religieuse. Peut-il y avoir un lien avec cette pierre ?

Et les seigneurs d'Haussonville ? A cette période, le nombre important d'héritiers de la famille d'Haussonville avait conduit Affrican, dernier héritier mâle, à partager les biens de la seigneurie. L'héritière d'Haussonville, Claude, qui habitait peut-être le château, n'a laissé de son existence qu'une belle pierre tombale qui a été transférée, à la fin du 19e siècle, de l'église d'Haussonville au Musée Lorrain (elle est encore visible dans la Chapelle des Cordeliers).

Une telle sentence portière d'inspiration biblique pourrait-elle être d'initiative protestante ? Il y avait à cette date une communauté protestante importante à Saint-Nicolas-de-Port, qui fut réprimée justement à cette époque. 1567 marque le début de la Seconde guerre de religion. On sait qu'Affrican avait embrassé la religion protestante et était alors réfugié à Strasbourg.

"Le constructeur avait eu le soin de placer sa maison sous protection divine. En faisant graver ce linteau, le propriétaire entend montrer qu'il est pieux et qu'il s'en remet à Dieu. C'est tout-à-la fois un acte de foi ainsi qu'un gage de respectabilité au sein de la communauté. Mais ce notable a pu tout aussi bien être catholique que protestant, les deux confessions, même si elles s'opposèrent jusqu'au sang, n'en conservèrent pas moins un certain nombre de références textuelles communes." C'est le commentaire que Nicolas Vernot, de l'Université Cergy Pontoise, historien spécialisé en Armoiries, emblèmes, signes et symboles, a bien voulu apporter  à cette enquête.


Le mystère reste entier sur l'origine de ce linteau ; comme d'habitude, si vous avez des indices permettant d'avancer sur ces hypothèses, je serais très heureuse que vous m'en fassiez part.

C'est en 2011, à l'occasion de l'inauguration de la délégation de Meurthe-et-Moselle de Maisons Paysannes de France, que Madame Paulette Choné, professeur émérite à l'Université de Bourgogne, spécialiste de l’histoire de l’art des XVIe et XVIIe siècles, avait attiré l'attention du groupe qui visitait le village sur cette étrange inscription. Merci à Madame Choné d'avoir bien voulu à nouveau "apporter sa pierre" à cet article. Et merci aussi à Monsieur Vernot pour son avis éclairé.